Mode. Les motifs fleuris de la fin des années 60 chers à Cacharel reviennent en force, mâtinés de touches sexy ou grunge.
A quoi doit-on ce regain de fraîcheur, de
douceur, de romantisme ? On croyait tout ça ringard, dépassé. On pensait
même que la tendance glam rock avait envoyé les jeunes filles en fleurs
au tapis. Mais voici que le Liberty revient. Et revoilà l’imprimé
floral si naïf partout.
Robes, shorts, tee-shirts ou pantalons : le tissu s’immisce aussi
bien chez Marc Jacobs, Naf Naf ou encore H&M. Pas question pour
autant de porter le Liberty au premier degré : cette saison, il se la
joue flou, sexy ou grunge.
Reprenons depuis le début et commençons par un détail qui a son
importance. Le Liberty n’est pas un vulgaire imprimé fleuri. Mais avant
tout «une marque anglaise de tissu», explique Florence Müller, historienne de la mode (1). Et pas n’importe lequel : «Un tissu de coton imprimé.» Aujourd’hui, à tort, «on emploie le terme "liberty" au sens large du motif». Cette vérité rétablie, passons à l’histoire de ce tissu mythique qui fit la gloire de Cacharel dans les années 70.
En 1875, Arthur Lasenby Liberty, apprenti drapier, ouvre sa propre
boutique sur Regen Street à Londres : la compagnie Liberty of London. Il
y vend des tissus et des marchandises venues d’Orient : porcelaines,
soieries chinoises ou encore éventails japonais. Il développe le tissu
Liberty dès 1884. Succès immédiat. En 1900, une succursale parisienne
est ouverte. Paul Poiret, grand couturier, achète du Liberty pour ses
collections. Il faut attendre la fin des années 60 pour qu’Yves Saint
Laurent s’y intéresse également. Mais la démocratisation du Liberty en
France, «c’est Cacharel vers 1968», rappelle Florence Müller. Souvenez-vous, les fameux chemisiers à fleurs de la marque.
Finesse. Les caractéristiques du Liberty ? D’abord, sa finesse. «Ce tissu est comparable à de la soie», vante Marie-France Cohen, la fondatrice de la marque pour enfants Bonpoint et du concept-store parisien Merci. «Pour qui sait voir, il est exceptionnellement raffiné.»
D’ailleurs, début mars, la boutique sera entièrement repensée Liberty,
de la décoration du lieu aux objets proposés (fringues, canapés,
vaisselle…).
Il y a aussi la subtilité de son impression florale. Que ceux qui n’y
voient qu’un amas de minuscules fleurs passent leur chemin : «Sur un dessin de fleurs classique, on retrouve quatre à cinq couleurs. Chez Liberty, ce sont douze à dix-huit couleurs.» Un coûteux travail d’orfèvre, selon Marie-France Cohen. Et puis, «ces petits motifs assez fondus ne donnent pas un effet tableau, renchérit Florence Müller, ce n’est jamais criard.» Ultime détail pour distinguer un «vrai» d’un «faux» : «Le Liberty est si fin que l’on distingue l’impression des fleurs à l’envers», précise Marie-France Cohen.
«Petite fille». L’éternel va-et-vient de la mode a
bien évidemment frappé le Liberty. Depuis environ quatre ans, il est de
retour dans les collections. C’est «le fait de plusieurs créateurs»,
dont Marc Jacobs ou Nicolas Ghesquière chez Balenciaga, estime Florence
Müller. Pourtant, le chemin pouvait paraître tortueux. Difficile
d’enfiler une blouse en Liberty sans essuyer une remarque désobligeante
du genre : «Tu rejoues la Petite maison dans la prairie ou quoi ?» Il y a cinq ans, Emma François, créatrice de Sessùn, adopte le célèbre tissu dans ses collections et constate «un succès commercial croissant». Même si elle reconnaît que «le côté petite fille» a pu faire «un peu peur». Aujourd’hui, il est «assumé». Et c’est ce qui plaît : la créatrice voit souvent des clientes qui «reconnaissent leur petite robe Cacharel de quand elles étaient petites».
Que celles qui craignent l’allure champêtre ringarde se rassurent : ce printemps, les coupes «audacieuces» remplacent les formes «naïves et enfantines»
de la saison dernière. Au programme chez Sessùn, robes très courtes et
décolletées dans le dos. Le Liberty arriverait à point nommé : «Ces derniers temps, on a saturé de noir, de clous, de strass, regrette Emma François. On avait vraiment besoin de s’aérer avec ce côté printanier.» Pour Florence Müller, ce retour du flower power traduit également «une tendance profonde pour le romantisme adouci et l’extrême jeunesse, forte source d’inspiration».
Mais que vient faire la mode «déchirée» là-dedans ? Elle fait son
retour et, à en croire Florence Müller, les deux ne seraient pas si
éloignés : «La petite robe en Liberty est à l’opposé du vêtement de
représentation, fait pour briller en société, dans la même tendance que
le néogrunge.» La liberté, on vous dit.
(1) «Modernes : vingt ans de mode contemporaine», Florence Müller et Jean-François Lepage, éd. Naïve.
article extrait de Libération
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